Comédiens en herbe, de jeunes autistes brûlent les planches du conservatoire du 19e
Reportage
Mise à jour le 19/06/2025

Sommaire
Dans le cadre du dispositif « L’art d’être ensemble », le conservatoire Jacques-Ibert a ouvert un atelier de théâtre inclusif pour des adolescents atteints d’un trouble du spectre de l’autisme. Nous avons assisté à leur toute première représentation.
L’école est fermée. « Non,
non et non ! On veut des devoirs, on veut de l’histoire-géo ! » scandent les élèves, pancartes tendues et poings levés.
Est-ce le monde à l’envers : des enfants qui réclament le retour de leur
maîtresse et s’inquiètent de ne plus recevoir de punitions ? Non, c’est
tout simplement le pitch de la pièce de théâtre La Manifestation, écrite par Grégoire Kocjan et interprétée, en ce jeudi de
juin, par une petite troupe pas comme les autres : un groupe de
préadolescents suivis dans le cadre du Sessad (service d’éducation spéciale et
de soins à domicile) AFG Autisme.
Après plus de six mois de
répétition, c’est le grand jour : Abou, Jade, Chems, Julie et Mamadou vont
monter sur scène et présenter pour la toute première fois leur travail devant
un public – des parents, quelques éducateurs et enseignants du conservatoire municipal Jacques-Ibert (19e). En coulisses, Jade, 13 ans,
trépigne : « Vous n’allez pas en
croire vos yeux ! » À côté d’elle, Abou est particulièrement
angoissé. Panique parmi les accompagnatrices, Mamadou est absent. On saura plus
tard qu’un conflit d’agenda l’a empêché de venir… Rama, une éducatrice spécialisée,
servira de doublure.
Dans la salle, on coupe les
portables, la lumière baisse. Amélie Jalliet, enseignante du conservatoire et metteuse
en scène, frappe les trois coups : les jeunes entrent sur le plateau…
Représentation théâtrale au conservatoire Jacques-Ibert (19e).
Crédit photo :
Ludivine Boizard / Ville de Paris
Au conservatoire Jacques-Ibert (19e), échauffement avant la représentation théâtrale de « La Manifestation », de Grégoire Kocjan.
Crédit photo :
Ludivine Boizard /Ville de Paris
On inspire, on souffle et on relaxe son dos, sa nuque et même ses oreilles avant de monter sur scène.
Crédit photo :
Ludivine Boizard / Ville de Paris
Amélie Jalliet, enseignante au conservatoire Jacques-Ibert (19e), anime les ateliers de théâtre pour les adolescents atteints d’un trouble du spectre de l’autisme.
Crédit photo :
Ludivine Boizard / Ville de Paris
Éducatrices spécialisées auprès du Sessad AFG Autisme, Laura et Rama encadrent les cours… et jouent même dans la pièce.
Crédit photo :
Ludivine Boizard / Ville de Paris
Portes ouvertes vers le « milieu ordinaire »
Au Sessad, on parle d’« un outil
de prise en charge ». L’atelier théâtre est une activité qui va au-delà du
soin, qui ouvre des portes vers le milieu ordinaire, vers le milieu culturel.
Comme l’escalade ou la danse, c’est un moyen de socialisation et d’inclusion
pour ces jeunes Parisiens atteints de trouble du spectre de l’autisme. C’est
Laura, éducatrice spécialisée, qui, il y a deux ans, est entrée en contact avec
le conservatoire, inspirée par les bienfaits qu’apportait cette activité à une
jeune fille qu’elle accompagnait.
L’équipe de l’établissement
municipal se montre enthousiaste, d’autant qu’elle s’inscrit dans une logique
d’accessibilité universelle avec le dispositif « L’art d’être ensemble » de la Ville de Paris, qui vise à développer des actions
artistiques et culturelles pour et avec tous les publics.
Il fallait accepter les moments où les ados chancelaient, où ils tombaient dans un trou émotionnel.
professeure de théâtre
Même si, à l’époque, elle ne connaît pas le monde du
handicap, Amélie, la professeure de théâtre, prend les rênes des ateliers du
jeudi après-midi. Et proposer des exercices à ces jeunes qui ont du mal à
accepter de sortir de leur routine n’est pas une mince affaire. « Mon
rôle, c’était de les en extirper, tout en douceur, explique-t-elle. J’ai
découvert le monde de l’autisme et des atypiques. C’est une improvisation
constante, en fonction de l’état psychique de l’enfant ce jour-là. Le plus
difficile a été de m’adapter en permanence. Il fallait accepter les moments où
ces ados chancelaient, où ils tombaient dans un trou émotionnel. Je dirais
qu’il n’y a jamais eu un cours complètement fluide ! »
L’adaptation, maître-mot de la prise en charge
À chaque séance, Amélie s’appuie sur les deux éducatrices
spécialisées, qui participent aux exercices avec les enfants et qui l’aident à
lire leur état émotionnel. L’enseignante leur a présenté le texte de La
Manifestation, qu’elle a adapté à leur rythme et à leurs capacités. « Cinq
pages, pas plus, soit une dizaine de minutes de spectacle. C’est leur seuil d’attention »,
confie-t-elle. Elle a aussi ajusté ses répétitions. « Regarder dans les
yeux, parler fort, toucher, faire un mime : tout ça est très compliqué
pour ces jeunes. Mais on a vu de vrais progrès : plus d’observation et
plus de concentration ! »
Les professionnelles du Sessad ont travaillé avec les
participants afin de décortiquer la pièce et de leur expliquer les subtilités
de cette œuvre loufoque. « Il fallait qu’ils comprennent pourquoi les
élèves n’étaient pas contents que l’école soit fermée, et pourquoi c’était
drôle », détaille Laura. « Au bout de plusieurs mois de répétition et
alors que l’on fabriquait les pancartes ensemble, on s’est rendu compte qu’ils
ignoraient ce qu’était une manifestation, sourit Rama. Alors, on a tout
remis à plat. »
Sous les applaudissements
« Non, non et non ! On veut des devoirs, on veut de l’histoire-géo ! » clament les élèves qui ne savent pas que l’école est fermée le 1er mai…
Crédit photo :
Ludivine Boizard / Ville de Paris
Shems, juste après la représentation de « La Manifestation ». Il tient un panneau « En colère », mais il est ravi de sa prestation !
Crédit photo :
Ludivine Boizard / Ville de Paris
Jade, elle, adore les applaudissements !
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Ludivine Boizard / Ville de Paris
Si Abou était angoissé pendant les répétitions, il était bien plus détendu lors de la représentation publique. Et il est fier du travail accompli !
Crédit photo :
Ludivine Boizard / Ville de Paris
Dès la dernière réplique, c’est
l’ovation ! Parents et éducateurs sont émus aux larmes, les ados
rayonnent : malgré le stress, l’absence d’un camarade et toutes les autres
difficultés rencontrées, ils ont délivré leurs dialogues et fait rire le public.
Ils se précipitent sur Amélie pour la remercier et lui offrir un bouquet de
fleurs. Abou, qui avait si peur de jouer devant sa famille, relâche la
pression. Jade admet, à chaud, que ce qu’elle préfère, ce sont les salutations
et les applaudissements. Son père, fier d’avoir une petite star à la maison,
parle « d’un avant » et « d’un après » cette expérience. Il
n’est pas le seul.
Les éducatrices du Sessad sont particulièrement
satisfaites. « Tous les ados ont évolué grâce à cet atelier, que ce soit
en ce qui concerne la gestion de l’espace, de la maîtrise de leur gestuelle ou
du placement de la voix, se félicitent-elles. Ils ont beaucoup de mal
à exprimer des émotions faciales et à prendre en compte les autres et, là
aussi, on a vu des progrès. C’est vraiment une activité qui complète le travail
que l’on fait avec eux de façon individuelle. » Au point que le
Sessad AFG Autisme souhaite donner plus d’ampleur au projet pour permettre à
d’autres personnes suivies, soit 37 jeunes de 3 à 20 ans vivant dans les 19e et
20e arrondissements, d’en bénéficier à la rentrée prochaine.
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