Rendre visibles les femmes dans la grande précarité avec Marie Loison, sociologue engagée

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Mise à jour le 03/07/2025

Groupe de bénévoles lors de la 8e édition de la Nuit de la Solidarité.
Ancienne membre du comité scientifique de la Nuit de la Solidarité, elle travaille depuis plusieurs années sur les questions de genre, de précarité et de sans-domicilisme. Interview de Marie Loison, maîtresse de conférences HDR en sociologie, qui nous éclaire sur les réalités invisibles des femmes dans la grande précarité et sur le rôle de la Ville de Paris pour y remédier.

Pourquoi s’intéresser aux femmes en situation de grande précarité dans le contexte urbain parisien ?

Mon intérêt pour les femmes sans domicile est né en 2015, alors que je travaillais plus globalement sur la pauvreté et la mendicité. J’ai constaté que les femmes étaient largement invisibles, tant dans les débats publics que dans les dispositifs d’aide. La Nuit de la Solidarité, lancée par la Ville de Paris en 2018 [des bénévoles sillonnent les rues de Paris la nuit pour recenser les personnes à la rue], a joué un rôle de révélateur : on parlait peu des femmes dans la rue. Je me suis alors demandé : où sont-elles ?

Comment expliquez-vous ce constat ?

En réalité, les femmes ont toujours été présentes dans la grande précarité, mais les structures ont été historiquement pensées pour un profil masculin : celui de l’homme seul, dans la rue. Les femmes, elles, étaient redirigées vers d’autres institutions : refuges pour « filles-mères », maisons closes pour les prostituées ou asiles psychiatriques dès qu’elles s’écartaient des normes.
Elles développent aussi des stratégies pour éviter la rue, perçue comme dangereuse. Cela passe par des hébergements temporaires, des arrangements précaires, l’évitement des lieux exposés… Mais ces stratégies les rendent moins visibles pour les actrices et les acteurs sociaux, et les statistiques. Une femme hébergée quelques nuits sur un canapé, même en danger, n’est pas forcément considérée comme prioritaire pour une solution d’hébergement d’urgence.
Ces formes d’invisibilisation sont au cœur de mes recherches, qui les rendent visibles auprès des politiques publiques.

En quoi la Nuit de la Solidarité a-t-elle transformé le regard porté sur les personnes sans abri ?

En tant qu’ancienne membre de son comité scientifique, je considère que c’est un outil original et utile, qui a permis de mieux visibiliser certaines réalités directement sur le terrain. Il a permis d’adapter certaines prises en charge et l’ouverture de lieux consacrés à l’accueil de personnes en situation de sans-abrisme ou des lieux d’accueil pour les femmes.

Les femmes sont moins souvent en situation de sans-abrisme que les hommes, mais plus nombreuses à demander un hébergement ou un logement durable.

Marie Loison
sociologue
Bien sûr, il reste des marges de progression. Par exemple, ces femmes hébergées chez des tiers échappent encore au décompte, car elles ne correspondent pas à l’image classique du « sans-abri ». Les haltes qui ont été ouvertes sont très androcentrées, c’est-à-dire qu’elles ont été pensées sur le modèle d’un accueil pour les hommes, alors que les femmes, souvent victimes de violences, ont besoin de lieux non mixtes. Elles sont aussi moins souvent en situation de sans-abrisme que les hommes, mais plus nombreuses à demander un hébergement ou un logement durable.
Pour affiner les résultats, avec d’autres chercheuses et chercheurs, nous avons plaidé pour une amélioration de la méthodologie, notamment sur la formation des bénévoles et l’intégration de nouvelles variables. La recherche a ici un rôle à jouer pour analyser et mieux saisir la diversité des parcours.

Quel regard portez-vous sur la collaboration entre la Ville de Paris et les chercheurs ?

Cette collaboration est essentielle. La Ville de Paris a montré, notamment via sa direction de la Solidarité (DSOL), une volonté réelle d’ouverture à la recherche. Elle soutient des travaux de terrain, finance des thèses en convention CIFRE (subventionnées par l’administration), et intègre des chercheuses et chercheurs dans ses projets, comme c’est le cas avec la Nuit de la Solidarité.
Ce lien entre recherche et action publique est précieux, car il permet de croiser les savoirs et les réalités de terrain, autant sur notre territoire qu’ailleurs en France ou dans d’autres pays. En tant que chercheur et chercheuse, on peut proposer un regard d’ensemble, une mise en perspective historique ou comparative, et surtout, contribuer à ajuster les réponses politiques aux besoins réels. Il ne s’agit pas de critiquer, mais d’accompagner les pouvoirs publics vers des dispositifs plus justes, plus fins, plus efficaces.
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