La sociologue Sarah Gensburger, observatrice des mémoriaux du 13 Novembre

Interview

Mise à jour le 06/11/2025

Femme châtain avec des lunettes rondes
Spécialiste de la mémoire collective, cette directrice de recherche au CNRS est l’autrice de « Mémoire vive. Chroniques d’un quartier. Bataclan 2015-2016 ». On a posé 3 questions à la sociologue Sarah Gensburger, qui a observé la formation des mémoriaux éphémères dans les lieux touchés par les attentats du 13 novembre 2105.

1 > En quoi la ville est-elle un support privilégié du souvenir collectif ?

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, après les attentats, la ville n’est pas seulement le décor dans lequel s’expriment les citoyens. Elle est elle-même l’une des victimes des attaques. Le fait que les terroristes s’en soient pris à des lieux multiples d’une part, aux terrasses de l’autre, constitue une violation majeure de l’espace public qui fait la ville. Ensuite, dans une société où les interactions digitales conduisent à des comportements fragmentés et clivés, se rassembler passe par des occupations collectives de l’espace public. Pour faire commun, les trottoirs et les places sont des lieux privilégiés.

2 > Cette façon de commémorer est-elle particulière à la France ?

Les mémoriaux éphémères – Grassroots Memorials, en anglais – ne sont ni propres à la France ni à la période ultracontemporaine. Après le 11 septembre 2001, les New-Yorkais ont également déposé de nombreux hommages sur le site du World Trade Center et aux abords des casernes, en écho au sacrifice des pompiers.
Bien sûr, le contenu et la forme des messages connaissent des variations qui sont liées aux cultures et aux traditions nationales. À Paris, on n’a pas trouvé les références religieuses que l’on a vues à New York. Ceux qui se sont exprimés l’ont souvent fait en tant que parents, « maman » ou « papa », et les dessins d’enfants, réalisés en famille et en classe, ont constitué une part importante des messages.

Le contenu et la forme des messages connaissent des variations qui sont liées aux cultures et aux traditions nationales.

Sarah Gensburger
sociologue
Les événements eux-mêmes orientent le type de messages ou d’objets déposés. Après l’attaque de l’équipe de Charlie Hebdo, les stylos ont été nombreux. Après celle du Bataclan (11e), plusieurs instruments de musique ont été déposés. En réaction à l’attentat contre le marathon de Boston, en 2013, ce sont les chaussures de course qui sont devenues le symbole de la solidarité, au point d’être collectées, puis exposées.

3 > Quelles traces Paris garde-t-elle des mémoriaux qui se sont formés au lendemain des attentats du 13 Novembre ?

Ce qui a été déposé devant les lieux des attentats du 13 Novembre à Paris a été collecté par les équipes des Archives de Paris (19e) à partir de décembre 2015. Avec les archivistes, nous avons retracé le devenir de ces mémoriaux, de la rue à l’archive, dans un ouvrage qui rassemble plus de 200 images et que j’ai dirigé avec Gérôme Truc, Les Mémoriaux du 13 novembre. Ces près de 8 000 documents ont ensuite été numérisés et sont consultables sur le site des Archives de Paris.
Évidemment, ces collections ne peuvent être exhaustives. Tout d’abord, l’expression populaire de solidarité et de sidération qui a suivi le 13 novembre 2015 n’a pas seulement pris la forme de papiers ou d’objets. Elle a suscité de nombreuses œuvres, plus ou moins spectaculaires, de street artistes ou de simples graffeurs sur les murs, les trottoirs et le mobilier urbain…
Au mémorial éphémère de la place de la République, que j’ai observé pendant un an, les messages étaient sensiblement différents de ceux déposés devant les lieux des attaques. Ils avaient notamment des connotations plus directement politiques et possiblement plus clivantes. Il sera à cet égard intéressant de regarder ce que les Parisiens vont déposer comme témoignages lors de l’appel, lancé par la Ville de Paris, à reconstruire un mémorial éphémère à l’occasion du 10e anniversaire du 13 Novembre, à partir du 8 novembre.
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