Vladimir Cosma, 60 ans de musique à Paris
Actualité
Mise à jour le 09/06/2023
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Rabbi Jaccob, L'As des As, La Boum, Le Château de ma mère… Ces morceaux d'anthologie, on les doit à un homme, le légendaire Vladimir Cosma, de retour au Grand Rex pour trois dates exceptionnelles, les 16, 17 et 18 juin prochains. Rencontre avec cette star internationale qui a marqué à jamais nos cœurs et le cinéma français.
Que réservez-vous au public lors de vos concerts au Grand Rex ?
Je vais jouer une partie de mon répertoire entouré par un orchestre philharmonique assez conséquent avec une centaine de musiciens, de solistes, de chanteurs.
Le Grand Rex est une salle dans laquelle j’ai déjà joué, qui m’est familière et que j’aime beaucoup. Elle a un passé, elle est très belle et elle est surtout indissociable du cinéma. Je suis le premier à l’avoir utilisée comme salle de concert.
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Né à Bucarest, vous êtes arrivé à Paris il y a 61 ans… Pourquoi la capitale ?
Jeune, mon père y a fait ses études et rêvait de vivre en France. J’ai été conçu à Paris, j’étais fait pour vivre ici ! Mais mon grand-père paternel est mort subitement en 1939 et mon père a dû rentrer en Roumanie. La guerre a éclaté, les frontières ont été fermées et il s’y est retrouvé bloqué. Quand les Russes sont arrivés, ils nous ont libérés des fascistes qui étaient sur place, comme en France. Mon père est devenu un des artistes les plus connus dans la Roumanie communiste, celle de l’époque stalinienne. Il a fait une belle carrière en tant que chef d’orchestre et a eu beaucoup de succès. Moi-même, jusqu’à 22 ans, j’ai vécu sous ce régime, j’ai fait mes études au conservatoire de Bucarest, où j’ai eu le premier prix de composition et de violon.
Mon père avait vécu dans le Paris des années 1920 avec Ravel, Debussy, la culture française qui explosait, le jazz arrivé d’Amérique, qui avait conquis la capitale. Ça ne l’a pas quitté malgré sa carrière en Roumanie. Il avait toujours la capitale en tête, mais ne me le disait pas, sans doute pour me protéger. Si j’en avais parlé à mes copains, ça aurait pu être dangereux avec le régime de l’époque.
Dans la tête de mon père, la France restait le pays de ses rêves et Paris, la ville où il a toujours pensé m’emmener.
Compositeur
Mon départ de Roumanie a été très pénible, j’y avais toujours vécu, j’y avais tous mes amis. Tout d’un coup, un fonctionnaire de police est arrivé et m’a dit « vous devez quitter la Roumanie en une semaine, récupérez tout ce que vous avez et partez ! » Je ne savais pas qu’une grande éditrice de musique française, Madame Salabert [Les éditions Salabert existent toujours et sont une grande maison d’édition de partitions musicales, ndlr] avait toujours un œil sur la Roumanie et m’avait remarqué. Elle a dit à mon père que si je venais en France, j’allais faire une grande carrière, car les jeunes musiciens et arrangeurs, comme Michel Legrand et Claude Bolling, y étaient très en vogue.
Mon père a organisé notre départ, en grande partie avec Madame Salabert et quelques artistes français communistes de cœur, connus en Roumanie, tels que Yves Montand. Ils venaient en Roumanie travailler avec l’orchestre de mon père et je faisais les arrangements. Ils ont participé financièrement à notre départ. Nous avons été achetés, en quelque sorte. C’est un genre de traumatisme, j’en parle dans mon livre, « Mes mémoires - Du rêve à reality ». Je ne pouvais pas en vouloir à mon père, même si j’avais une fille que j’aimais là-bas, mes camarades, et déjà du succès. J’ai compris que c’était son rêve, qu’il se sacrifiait et allait abandonner une grande carrière pour moi.
Comment vous êtes-vous adapté à la vie parisienne ?
J’ai toujours aimé le Paris de ma jeunesse, de la musique. Mais on n’aime pas un pays au détriment d’un autre, qui plus est votre pays d’origine. Je voyais bien les avantages et les inconvénients des deux. En Roumanie, nous vivions dans un régime communiste qui interdisait beaucoup de choses et les musiques comme le jazz et le rock étaient très mal vues et considérées comme décadentes. Nous en écoutions en douce via une radio américaine, Voice of America, qui était la plupart du temps brouillée par les autorités.
Paris était beaucoup plus libre, mais quand je suis arrivé, j’ai bien compris que ce n’était pas le paradis. J’espérais travailler pour Yves Montand, mais il ne faisait plus de disques. Mme Salabert, qui avait promis de m’engager, m’a proposé un poste bien en deçà de ce que j’espérais. Il aurait fallu quatre vies pour rembourser l’argent que l’on devait pour notre venue en France. La somme était énorme, j’ai signé une reconnaissance de dette en arrivant, ça génère beaucoup de stress.
Comment avez-vous réussi à faire votre place dans la musique de film ?
Je ne cherchais pas à faire de la musique de film, je ne savais même pas que ça existait. Je connaissais la musique classique, le jazz, la chanson… J’avais une grande admiration pour des musiciens connus qui avaient du succès comme Michel Legrand. Je voulais le rencontrer et avoir son avis sur mes capacités à réussir en France. Mais c’était très difficile de le voir, j’ai dû attendre deux ans. Je suis allé à un concert salle Gaveau, où je l’ai aperçu dans les coulisses, et il m’a donné rendez-vous deux mois plus tard. II a été très enthousiaste, mais il m’a aussi dit que je me ferai une place à Paris dans dix ans… quand moi je comptais un an ou deux !
C’était la douche froide, surtout que mon père était trop vieux pour espérer trouver un travail, et j’étais donc le seul de la famille qui pouvait gagner de l’argent, et entretenir mes proches. Les choses sont arrivées plus vite que prévu grâce à Michel Legrand. Il m’a téléphoné quelques mois plus tard pour un concert à l’Alhambra et m’a demandé si je pouvais venir l’aider pour des orchestrations. C’était la première fois que je travaillais pour lui et c’était pour moi déjà une récompense. Je suis devenu son assistant et ça m’a introduit dans le monde de la musique de film.
Et arrive le film Alexandre le bienheureux, votre première musique de film en tant que compositeur…
Après cinq ans de collaboration, Michel Legrand a décidé de partir s’installer aux États-Unis et il souhaitait que je l’accompagne. J’étais chez lui, le départ était prévu dans une semaine, et le téléphone sonne. Au bout du fil, Yves Robert propose à Michel Legrand de faire la musique de son prochain film, « Alexandre le bienheureux ». Ce dernier décline, et j’entends Yves Robert demander « et ce jeune qui travaillait avec toi, il ne pourrait pas le faire ? »
Michel Legrand l’a informé que je partais avec lui, mais moi, j’étais désespéré, car j’y voyais une possibilité de travailler et de signer ma propre musique. J’ai demandé à rester deux mois de plus pour pouvoir participer au projet, ce qui n’a pas eu l’air de faire plaisir à Michel. Il a quand même rappelé Yves Robert pour lui donner mes coordonnées. Le lendemain je recevais un coup de téléphone de la production, j’ai tout de suite accepté. Voici comment est née ma collaboration avec Yves Robert : elle a duré toute sa vie, j’ai composé les musiques de tous ses films.
Quel est votre procédé créatif ?
C’est toujours le même depuis que je fais de la musique. Les gens ont une vision idyllique de la création et ont l’impression qu’on est inspiré par quelque chose d’extérieur, mais ce n’est pas forcément le cas. J’ai fait beaucoup de publicité et je ne peux pas dire que je sois inspiré par les bonbons Krema ou les pâtes Panzani !
J’écris de la musique comme un écrivain écrit. Des musiques me viennent, je les note et je les garde pour plus tard. Pas besoin d’avoir une commande, je crée ce qui me passe par la tête. Souvent, ce que je compose pour un film ou autre chose, ce n’est pas la musique retenue, car je me souviens que j’ai écrit quelques années auparavant quelque chose de bien meilleur, que je reprends et que j’adapte pour le travail en cours. J’ai des compositions que je travaille depuis 50 ans, j’améliore, j’enlève une note, j’en ajoute une autre, c’est très technique ! Pour un film, je l’adapte, mais ce qui est important c’est ce qu’il y a dans votre cœur et dans votre tête !
Il y a le film, il y a la musique, et je crée une troisième dimension qui est la musique avec le film.
Compositeur
Les décors vous inspirent-ils ?
Évidemment que ça m’inspire ! Je vais vous expliquer comment j’ai composé la musique de « La gloire de mon père » d’Yves Robert. C’est un générique de 4 minutes, sans paroles, avec le Garlaban comme décor (Le Garlaban est un sommet de France qui surplombe la ville et la plaine d’Aubagne, ndlr). C’est ce que voyait le petit Marcel Pagnol et ça a nourri son imaginaire. Il percevait ces collines comme des montagnes gigantesques et extraordinaires, alors que ce sont juste de petits monticules.
Je me suis plongé dans les musiques que le petit Pagnol écoutait. À cette époque, les gens appréciaient beaucoup les musiques espagnoles, Ravel avait fait le Boléro. J’ai eu l’idée de faire une
« Habanera ». Je l’ai composée avec de vraies cigales que j’ai samplées, au lieu des traditionnels tambourins ou triangles. Il fallait une modernité dans la vision sinon ça faisait film d’époque, ce qui n’était pas le cas. Aujourd’hui cette musique est devenue une référence du midi de la France, représentative de la région.
Revenons sur votre travail pour « Les mondes engloutis », dessin animé emblématique des années 80…
Il y a deux ans, ce générique est ressorti avec un texte légèrement différent, car les producteurs souhaitaient remettre de l’optimisme dans cette histoire un peu sombre, ce qui à mon sens était dommage. Ils ont pris un jeune groupe, les Kids United, la chanson est devenue numéro un et a rencontré un immense succès pendant deux ans.
Au début je n’étais pas complètement convaincu de faire cette reprise, car souvent les remakes sont ratés ou inutiles. Mais dans la société actuelle, « L’hymne à la vie » est plus convaincant que « Les mondes engloutis ». La première version étant déjà un gros succès, mais celle-ci l’a surpassée.
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Êtes-vous heureux de vivre à Paris ? Jeune homme plein d’espoir, vous y êtes devenu une légende…
Quand je vais en Roumanie, je ne retrouve pas celle que j’ai connue jeune et Paris n’est plus la ville de mes débuts, il y a cinquante ou soixante ans… Les relations entre les gens, les restaurants, les décors, tout a changé ! Mais paraît-il qu’en Roumanie et dans pas mal de pays, c’est pire encore. Et moi aussi j’ai changé. Oui, j’aurais pu partir, j’ai beaucoup voyagé. Mais je n’ai jamais trouvé un endroit qui dépassait Paris. Déjà de par le souvenir qu’elle incarne. Vous n’avez pas l’ombre de Ravel et Debussy dans n’importe quelle ville ou pays du monde !
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Vladimir Cosma au Grand Rex
Le Grand Rex - 1 Bd Poissonnière, Paris
Du vendredi 16 juin 2023 au dimanche 18 juin 2023
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